samedi 26 décembre 2009

Note d’intention pour mon projet du Fresnoy

Comme pour mes travaux récents, le point de départ est une carte : Calais, un territoire-frontière duquel des hommes sont chassés, traqués; une escale, une périphérie.

J’ai commencé par aborder la question des migrants et leur rapport à ce territoire en cherchant naïvement une sorte de mythologie du migrant. J’avais des idées chargées d’un fantasme issu d’articles et d’images de presse. J’imaginais des scènes très frontales, les contacts des passeurs, des scènes de traques, de camions… un diaporama d’images stéréoscopiques.
Début Octobre, je suis donc allé à Calais pour me confronter à ma carte, j’ai intégré des associations pour me rapprocher des migrants et comprendre leurs problématiques. J’ai beaucoup travaillé avec la Belle Etoile, l’association qui offre les repas du midi en semaine aux migrants en partenariat avec le secours catholique.

Je commençai alors mes repérages en axant mes recherches sur les traces laissées par les migrants, n’osant les photographier sans les connaître personnellement. Peut-être parce que je sentais déjà qu’il me serait impossible de les photographier aujourd’hui.

Vers la mi-Octobre j’arrivai enfin au milieu des migrants après le « service » du midi. Je me rendis compte que ne n’avais jamais été plus loin d’eux. Je me confrontai à la distance (ma distance) d’une multitude de mondes sur le même territoire réduit à la délimitation des grilles entourant le local de distribution. Je voulais les aborder, les questionner sur leur histoire, trouver quelque chose à leur dire… impossible de trouver une accroche. Le doute. Je remarquai de brefs contacts des migrants avec les bénévoles autour de moi : une cigarette offerte, une drague redondante et provocatrice. Je fus bouleversé par ce sentiment paradoxal d’impuissance, de mutisme, de distance et de proximité physique reconsidérant ainsi position et ma manière de représenter frontalement cette souffrance et ce drame ; comprenant que je ne les comprendrai peut-être jamais.

Ainsi je questionnai les images qui me restaient entre les mains : celle des empreintes laissées par les passages dans des paysages calaisiens. Un tas de débris, un feu éteint, des habits pendant au bout de branches d’arbres, ici un trou, là des traces de pas, une main, une canette vide. De quoi témoignent-elles ? Comment questionnent-elles le territoire ?

Je remontais l’histoire des passages : Afghans, Somaliens, Kossovares, Roms.
Qu’en reste-t-il ? Les empreintes, agissent-elles comme des palimpsestes ?
Je me perdis. Un vertige me conduisait sur la trace des Bourgeois, sur des chemins de dentelle, au milieu d’un cimetière de fossiles jurassien comme des strates sombres dormant sous une trace contemporaine d’actualité. Fin Novembre, j’imaginai un film qui me permettrait de faire coexister les strates comme un bourbier kafkaïen. C’est la déambulation d’un collectionneur qui répertorie des traces de migrants pour les faire participer à sa collection de récits de rois et de dinosaures.

Ce projet était poussé par une envie personnelle de cinéma et par une crainte de l’utilisation du système stéréoscopique pour un territoire d’actualité aussi délicat. C’était une manière de fuir par la métaphore pour s’écarter d’une image trop « risquée ». J’ai finalement écarté ce projet craignant de plonger le spectateur dans un sentiment confus plus que complexe tout en revenant sur mon appréhension concernant la pertinence de l’image stéréoscopique.

Je réfléchis à ma quête. J’essaye de prendre du recul, de trouver un angle d’attaque pour donner à voir ce territoire. Je refuse de décider qu’il est in montrable, qu’il n’existe pas! Mais il est impossible de tout montrer. Est-il possible de tout montrer?

Je choisis donc ce retour à la stéréoscopie. J’aime l’attrait d’un procédé d’image « panorama » pour le détruire. L’image physique de Calais pour la mettre en doute. L’image d’un doute. Effacer les ciels qui s’écrasent comme une toile au-dessus de la terre et ses aspérités, posant des corps ou marquant leurs empreintes. Montrer les trous, les béances laissées par l’absence des corps des migrants dans le paysage et dans les mise en scènes.

Aujourd’hui, je ne ressens pas l’envie d’images informatives. Je pense laisser le doute sur les actions des personnages mis en scène. Le parcours induit par le montage ne sera pas linéaire. C’est une boucle dont le point de départ est une quinzaine d’images permettant d’entrer à n’importe quel moment, à n’importe quel endroit sur le territoire.

-Quel point de vue choisir ?
Je suis un calaisien, je suis un bénévole, je suis un archéologue, je muterai au fil de ma recherche.
-Quelles béances laisser ?
Celles que l’on voit dans le sol, les creux des empreintes, les ruines du passage, la fuite. Les trous d’un réel fantasmé. La béance d’une absence de deuil: une mélancolie.


J’ai envie d’inclure une édition accompagnant le diaporama. En revenant sur mon parcours, j’ai trouvé passionnantes les problématique soulevées par mes difficultés à trouver une forme à mon cheminement, ma quête. J’imagine un cahier d’une cent cinquantaine de pages retraçant mon parcours, une méthodologie de l’image. Il serait question d’interrogations sur une manière de mettre en scène le réel à travers des entretiens et le récit de ma propre expérience, tissant ainsi une iconographie travaillant avec les images.
Je ne pense pas que les textes expliqueront les images. Au contraire, mon désir est celui d’un questionnement : penser la recherche comme partie intégrante du travail. Je veux aussi présenter des images de repérages et de recherches comme des notes qui répondraient aux textes et au diaporama.


Points de départ, images

Secours catholique
Dans un local gigantesque où s’amoncellent des piles colossales de vêtements, cinq femmes trient. Au centre de la pièce, l’une d’elles utilise un carton marqué d’empreintes de chaussures correspondant chacune à une taille et dispose les souliers en petits tas ordonnés autour d’elle.
Une trace en devenir. La plante de pied du migrant qui se glisse sur la semelle, l’empreinte du «donneur».

Blériot plage
Un Bunker échoué sur la plage dont l’entrée ressemble à une scène de théâtre. Une bande de jeunes adolescents qui regardent à l’intérieur, postés à la porte de la masse de béton.
Une idée de la ruine et de son statut dans le paysage. Les palimpsestes et la réapropriation du territoire.

Zone industrielle des dunes
Paysage de hautes herbes. Entre les touffes, au loin, on distingue des bâches de couleur, des sacs plastiques. On doute sur un corps, un mouvement.

La jungle, terrain vague mélange de terre et de vêtements, de restes de végétation. Deux hommes de dos. L’un est penché, le buste parallèle à la terre, les mains sur les genoux.
Glaner dans les ruines.

Aux abords de la jungle, des bois et des lambeaux de vêtements qui pendent au bout des branches. Une trace dans la boue.

Deux jardins qui donnent sur le bois. Un homme, sa fille. L’homme regarde en direction de la végétation. La jeune fille creuse un trou. Elle joue.
C’est une mise en abîme de la frontière dans la frontière.

Coquelles
Un archéologue dans un paysage de dunes analogue à celui de Blériot. Ils est accroupit au dessus de son trou.
Une plongée dans un temps archaïque. Des strates mises à jour.

Des maisons ouvrières des années 50, toutes similaires. Une maison abandonnée dont les entrées sont condamnées.

Revenir sur les traces des squats démantelés par les forces de l’ordre.

Trouver des sentiers dans les bois, dans les zones périphériques. Des traces de passages. L’usure du sol par la marche.

Sortir de Calais. Chercher la périphérie.

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